Les exportations de céréales de l’Ukraine affectent-elles le marché intérieur européen ?

Les corridors européens de solidarité devraient faciliter l'exportation de céréales depuis l'Ukraine. Cependant, la logistique serait assez difficile et le transport ultérieur ne serait pas toujours assuré. Quel est l'impact sur le marché unique européen ? Notre adjoint Gusty Grass s'est informé.

« Selon des articles sur le portail ‘EURACTIV’, les couloirs de solidarité de l’Union européenne auraient des répercussions négatives sur le marché unique. Selon des producteurs de céréales roumains, les exportations en provenance de l’Ukraine et à destination aux pays voisins resteraient bloquées sur les marchés locaux des pays de transition.

À titre d’exemple, les agriculteurs roumains endureraient une « forte détérioration de leur compétitivité » sous l’effet d’importations moins chères originaire de l’Ukraine et vendues sur le marché roumain.

Le blocage au niveau du pays de transition serait notamment lié aux coûts de transport pour les agriculteurs roumains qui aurait quasiment triplé en raison d’une demande élevée de production en Ukraine.

Dans ce contexte, j’aimerais poser les questions suivantes à Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et européennes et à Monsieur le Ministre de l’Agriculture :

  • Messieurs les Ministres, peuvent-ils confirmer un impact négatif des exportations de céréales ukrainiennes sur le marché unique ?
  • Comment l’Union européenne peut-elle éviter un détournement des produits vers des marchés locaux et assurer le transport des céréales à leurs destinations finales ?
  • Quelles mesures peuvent être mises en place pour alléger la pression exercée par le flux de produits ukrainiens ?
  • Est-ce que le déblocage de fonds supplémentaires est prévu pour ajouter des couloirs de solidarité additionnels ?
  • Dans l’affirmative, quels seraient les délais pour une telle initiative ? »

Réponse

L’Ukraine et la Russie sont historiquement les pays exportateurs de céréales les plus importants vers les pays du bassin méditerranéen du Nord de l’Afrique, du Proche- et du Moyen-Orient.

L’Union européenne, de son côté, est un importateur de maïs important pour l’alimentation des animaux ainsi que de graines d’oléagineux. 

La très majeure partie des acheminements de ces produits vers leurs destinations finales dans les Etats membres de l‘UE, notamment ceux du bassin méditerranéen, se fait de manière générale par voie maritime à partir du port d’Odessa en ce qui concerne l’Ukraine. En effet, d’un point de vue économique, écologique et logistique les voies maritime et fluviale sont les plus intéressantes et efficaces pour transporter les produits en vrac mentionnés précédemment.

Ces voies maritimes et fluviales ont été fortement perturbées puis entravées suite à l’agression russe et le blocage des ports maritimes ukrainiens par la Russie, avec pour conséquence de bloquer l’accès à la Méditerranée aux bateaux transportant des denrées et d’autres biens à partir de l’Ukraine.

En conséquence les secteurs des céréales, du maïs et des protéagineux ont connu de fortes perturbations avec des envolées des prix dans l’UE et dans les pays qui importent ces produits.

Afin de faire face à cette situation préoccupante de blocage des échanges, l’initiative européenne dite des – « solidarity lanes », c’est-à-dire des couloirs de solidarité, a été lancée le 12 mai 2022. 

Il s’agit d’une plate-forme qui vise à mettre en œuvre des coopérations entre différents acteurs afin de parvenir à des options stratégiques à court et moyen terme qui offrent des solutions au blocage exercé par la Russie, et des possibilités pour nos relations commerciales et économiques notamment avec la Moldavie et l’Ukraine, en se coordonnant et en optimisant les chaînes logistiques, en mettant en place de nouveau itinéraires et en évitant autant que possible des goulots d’étranglements.

Dans le cadre de cette plateforme d’échange intergouvernementale a aussi été mis en place une plateforme de matchmaking entre l’offre et la demande visant à faciliter des coopérations entre différents acteurs, afin de sortir de la situation de blocage des ports de la mer Noire.

Au mois de juillet, l’ONU est parvenue, avec les principaux pays concernés dont la Russie, à un accord dit « Initiative céréalière de la mer Noire », (« The Black Sea Grain Initiative ») visant la réouverture des ports de la mer Noire.

Cet accord, à la durée initiale de 120 jours a permis de fluidifier les exportations de céréales par voie maritime. Dans le contexte actuel, il reste évidemment à savoir si cet accord va être prorogé, raison pour laquelle l’amélioration des voies alternatives de solidarité est importante.

Lors de la session du Conseil des ministres de l’Agriculture, du 17 octobre 2022, la délégation luxembourgeoise a insisté sur l’importance de l’accord « The Black Sea Initiative » et de sa prolongation au-delà de la date convenue au mois de juillet 2022.

Néanmoins, étant donné que l’accord négocié sous les auspices des Nations Unies ne couvre que les produits céréaliers, l’amélioration des voies alternatives de solidarité reste importante.

En ce qui concerne les questions spécifiques de l’honorable Député, nous ne pouvons pas confirmer que, d’un point de vue général, ces initiatives aient eu un impact négatif sur le marché unique, même si les marchés des pays qui sont à la frontière de l’Ukraine ont été impactés de manière ponctuelle et régionalisée, surtout pour des raisons logistiques liés à la liaison entre les réseaux ferroviaires et leurs compatibilités techniques. Tout au contraire, les flux de produits céréaliers de l’Ukraine via les frontières terrestres ont augmenté successivement depuis la mise en place de cette initiative de la Commission européenne, même si les prix de transport ont augmenté en raison de l’absence de chaînes de valeurs bien rodées via la voie terrestre et de l’absence de capacités suffisantes pour ces types de transport sur le marché privé comme aux points frontaliers.  Comme mentionné dans l’introduction, l’UE, d’une façon générale, est surtout importatrice de maïs en provenance de l’Ukraine, et la majorité des produits ne fait que transiter par les différents pays pour atteindre le pays de destination hors UE.

Désormais ces problèmes ponctuels et localisés semblent s’amortir voire se résoudre, suite à une ouverture plus directe des exportations vers les pays de destination grâce à l’Initiative céréalière de la mer Noire. Par ailleurs les informations fournies par la Commission indiquent que les difficultés de nature plus technique ont pu être résolues.

En ce qui concerne les autres questions, les problèmes ponctuels et localisés ne trouvent pas leur origine dans les « couloirs de solidarité » mais dans la guerre provoquée par la Russie et semblent s’amoindrir en fonction de la stabilisation des chaînes d’approvisionnement susmentionnées. A cet égard, la Commission européenne s’est engagée à financer prioritairement des mesures infrastructurelles dans les pays à la frontière de l’Ukraine qui allègent la pression sur les capacités de transport et le stockage de ces produits dans le cadre des programmes existants de type Connecting Europe Facility (CEF), où tout projet soumis est analysé et peut bénéficier d’un cofinancement européen substantiel. Il convient finalement de noter que les Etats membres, qui importent généralement des fourrages et des aliments pour animaux à base de maïs ne souffrent pas des importations à partir de l’Ukraine mais plutôt des prix plus élevés des aliments pour animaux suite à l’agression de la Russie et des augmentations des prix qui en sont la suite.

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