Fro
« L’article L. 415-10 (5) du Code du travail prévoit expressément que l’employeur peut présenter une demande en résolution judiciaire du contrat de travail, « le cas échéant par demande reconventionnelle, au plus tard dans le mois à compter de la date de la notification de la convocation à comparaître devant le président de la juridiction du travail ».
Cette disposition semble conférer au président du tribunal du travail, saisi d’une demande en maintien du salaire introduite par un délégué du personnel mis à pied, la compétence pour connaître également d’une éventuelle demande reconventionnelle en résolution judiciaire du contrat de travail introduite par l’employeur.
Cette interprétation est corroborée par le commentaire des articles du projet de loi n°6545 ayant présidé l’introduction de l’article L. 415-10 au sein du Code du travail et qui prévoit que « Ce paragraphe prévoit donc une première saisine de la part du salarié et non de l’employeur, ceci afin de rendre possible que toute la procédure juridique puisse se dérouler devant les tribunaux luxembourgeois et non dans les pays de résidence respectifs des salariés frontaliers. »
Cependant, il nous revient qu’en pratique, le président du tribunal du travail semble refuser systématiquement de reconnaître sa compétence matérielle pour statuer sur une telle demande reconventionnelle, ce qui pose un problème d’interprétation et d’application de la loi. Ce refus prive l’employeur de la possibilité de se défaire du contrat qui le lie au délégué mis à pied à la suite d’une faute grave et engendre une grave insécurité juridique et financière.
Dans ce contexte, nous aimerions poser les questions suivantes à Monsieur le Ministre du Travail et à Madame la Ministre de la Justice :
- Comment le gouvernement interprète-t-il l’article L. 415-10 (5) du Code du travail en ce qui concerne la compétence du président du tribunal du travail saisi d’une demande en maintien du salaire, pour statuer sur la demande reconventionnelle en résolution judiciaire du contrat de travail de l’employeur ?
- Le refus du président du tribunal du travail de statuer sur une telle demande reconventionnelle est-il conforme à l’esprit du législateur et aux objectifs de la loi ?
- Des mesures sont-elles envisagées pour garantir une interprétation et une application uniformes de cette disposition et éviter toute insécurité juridique pour les employeurs et les salariés concernés ? »
Äntwert
Question N°1 : Comment le gouvernement interprète-t-il l’article L. 415-10 (5) du Code du travail en ce qui concerne la compétence du président du tribunal du travail saisi d’une demande en maintien du salaire, pour statuer sur la demande reconventionnelle en résolution judiciaire du contrat de travail de l’employeur ?
Selon l’article L. 415-10, paragraphe 5, alinéa 1er du Code du travail « L’employeur peut présenter sa demande en résolution judiciaire du contrat de travail auprès de la juridiction du travail, le cas échéant par demande reconventionnelle, au plus tard dans le mois à compter de la date de la notification de la convocation à comparaître devant le président de la juridiction du travail. »
L’article L. 415-10 du Code du travail fait une distinction entre les requêtes au « président de la juridiction du travail » et les requêtes au « tribunal du travail » ou à la « juridiction du travail ».
Conformément à l’article 25 du Nouveau Code de procédure civile et de l’article 56-1 de la loi du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, le tribunal du travail, statuant en sa formation collégiale, est compétent pour tous les litiges en matière de droit du travail, dont la compétence n’est pas explicitement attribuée au président du tribunal du travail, notamment par les articles 941 à 948 du Nouveau Code de procédure civile.
Le cinquième paragraphe de l’article L. 415-10 du Code du travail indique sans équivoque que les demandes en résolution judiciaire doivent être présentées auprès de « la juridiction du travail », à savoir la formation collégiale du tribunal et non son président.
Il y a lieu de souligner que le président du tribunal du travail est généralement compétent pour prendre des décisions provisoires qui ne se heurtent pas à des contestations sérieuses. Cependant, la résolution judiciaire d’un contrat de travail est une décision définitive qui nécessite de trancher le fond même du litige et dépasse ainsi la compétence du président du tribunal du travail.
Par conséquent, la possibilité de demander la résolution judiciaire de manière reconventionnelle existe uniquement lorsque le salarié protégé demande la constatation de la résiliation du contrat de travail à la formation collégiale du tribunal de travail, tel que prévu au paragraphe 4 alinéa 6 de l’article L. 415-10 du Code du travail.
Lorsque le salarié demande le maintien de son salaire au président du tribunal du travail, sur base du paragraphe 4, alinéa 5 du même article, l’employeur doit formuler sa demande de résolution judiciaire par une demande initiale au tribunal du travail et non de manière reconventionnelle.
Le Gouvernement partage l’interprétation de l’article L. 415-10 du Code du travail mise en œuvre par les juridictions du travail et leurs présidents, à savoir que seul le tribunal du travail, statuant en formation collégiale, est compétent pour prononcer une résolution judiciaire d’un contrat de travail, à l’exclusion du président du tribunal du travail, statuant d’urgence et comme en matière sommaire.
Question N°2 : Le refus du président du tribunal du travail de statuer sur une telle demande reconventionnelle est-il conforme à l’esprit du législateur et aux objectifs de la loi ?
Tel que précisé ci-dessus, le président du tribunal du travail qui se déclare incompétent pour statuer sur une demande reconventionnelle en résolution judiciaire d’un contrat de travail fait une application correcte des dispositions législatives.
Or, l’employeur n’est pas privé de la possibilité de se défaire du contrat de travail, vu qu’il peut demander la résiliation judiciaire au tribunal de travail, statuant de manière collégiale, par une demande initiale ou reconventionnelle, selon la procédure adoptée par le salarié.
Il y a lieu de préciser que même dans l’hypothèse où l’employeur n’aurait pas demandé la résolution judiciaire du contrat au tribunal du travail dans le délai légal, le salarié protégé ne conserve son salaire que pendant trois mois à la suite de sa mise à pied.
Selon la jurisprudence, si l’employeur parvient à démontrer devant le président du tribunal du travail que « la mise à pied a une apparence de régularité et de légitimité », alors le salaire est suspendu à partir du quatrième mois, jusqu’à l’intervention d’une décision définitive de maintien ou de résolution du contrat.
L’interprétation jurisprudentielle est donc conforme à l’esprit et aux objectifs de la loi, à savoir d’accorder une protection spéciale aux délégués du personnel, tout en laissant à l’employeur une possibilité restreinte de résilier le contrat de travail pour motifs graves.
Question N°3 : Des mesures sont-elles envisagées pour garantir une interprétation et une application uniformes de cette disposition et éviter toute insécurité juridique pour les employeurs et les salariés concernés ? Vu que la jurisprudence sur l’incompétence du président du tribunal du travail et sur la compétence du tribunal du travail est constante et en conformité avec l’esprit de la loi, il n‘existe pas d’insécurité juridique pour les employeurs et pour les salariés, qui rendrait nécessaire une intervention législative.